Géorgie 1930, poème et collage de Jean-Louis Macé

Vous savez qui il est... enfin presque !  Soit l'essentiel, sa plume, son expression très imagée, son goût des mots... et que nous nous sommes retrouvés voisins au salon du livre de Corsept en Loire-Atlantique ! Cette fois, j'ai feuilleté plus avant toujours le même recueil de poèmes et bien sûr, celui-ci a retenu toute mon attention...  je sais combien certaines et certains ont apprécié le jardin de Rose... Comment y résister ?  Voici un autre registre, plus sérieux - quoique ! -  une toute autre facette de cet artiste... écoutez plutôt... car, après le poème je vous offre un petit plus avec ce moment magistral et magique d'improvisation de Miles Davis...

Fran Nuda




Géorgie 1930

John marchait sur le trottoir
Le long d’un mur il vit
Quelques caisses abandonnées
Il en prit une et s’assit
Sortit de sa boite son saxo
Et il se mit à jouer quelques arpèges
Et déclinaisons pour se chauffer
Sur le trottoir d’en face
Les quelques blancs qui passaient
Le regardaient bizarrement
Ibrahim venait vers lui
De sa démarche lourde et chaloupée
De vieux travailleur des champs
Il prit une des caisses
S’assit et sortit sa guitare de l’étui
Et commença à gratter des accords
En neuvièmes et septièmes
De manière syncopée
Ils ne se connaissaient pas
Ils ne s’étaient jamais vus
Sur le trottoir d'en face
Les quelques blancs qui passaient
Les regardaient bizarrement
Ils attaquèrent un bœuf
Un blues qui vous donne
Une mélancolie joyeuse
Qui vous transporte
Maria qui passait par là
Les entendant revit son enfance
Les chants de Grand Mama
Le soir après la journée de labeur
Dans les champs de coton
Lui revinrent en mémoire
Les larmes lui vinrent aux yeux
Elle s’approcha des deux musiciens et 
Commença à fredonner bouchée fermée
Après un échange de regard
Les deux compères
Entamèrent l’air de Maria
Maria ne résista pas
Et se mit à chanter
D’une voix assez basse
Et légèrement rocailleuse
Sur le trottoir d’en face
Les quelques blancs qui passaient
Les regardaient
De plus en plus bizarrement
Certains même proféraient
Des insultes à voix basse
Autour d’eux les gens commençaient
A s’attrouper et à frapper dans leurs mains
Pour marquer le tempo
Certains même attaquaient les chœurs
Ils étaient tous à la joie du rythme
Sur le trottoir d’en face
Les quelques blancs qui passaient
Les regardaient haineusement
Et vociféraient des injures
L’un deux alla prévenir la police
Le shérif et ses adjoints arrivèrent
Matraque à la main et foncèrent dans le tas
John,  Ibrahim et Maria furent arrêtés
Sur le trottoir d’en face
Les quelques blancs groupés
Ne les regardaient plus bizarrement
Mais riaient contents de la tournure des événements
Devant un juge blanc
Ibrahim et Maria furent accusés
De désordre sur la voie publique
Et d’incitation à la révolte pour chant séditieux
Et condamnés lui à la pendaison
Et elle, à dix ans de prison
John, lui, fut acquitté
Il eut beau protester il ne lui fut rien reproché
L’on mit en avant son passé de vétéran de 14/18
Cela se passait dans les années 1930
Au fin fond de la Géorgie
Dans une petite ville tranquille
Ibrahim fut pendu deux jours plus tard
Maria mourut au bout de sa troisième année
De prison suite au mauvais traitements subis
Quant à John, écœuré, il quitta ce grand pays
Démocratique et se mit à parcourir le monde
En luttant contre le racisme
Sous toutes ses formes

                                                                                     Jean-Louis MACE


Petit plus que je vous offre tant cette musique improvisée dans l'instant même du passage des images a quelque chose de magique... Miles Davis pour le film : Ascenseur pour l'échafaud, film de Louis Malle... Magique et intemporel !
Fran



Commentaires

  1. J’en frisonne , est ce le texte , le blues ?
    Ce racisme qui a accompagné toute notre jeunesse et continue encore .
    J’ai honte d’avoir la même couleur de peau que ces porcs .
    Merci Fran

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  2. On s'y croirait ! Difficile construction de l'Amérique, mais quelle richesse à tous points de vue !

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  3. Ce poème est toujours d'actualité,le racisme est toujours présent.

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  4. Un magnifique poème à étudier comme dit Patricia. Hélas le racisme est toujours bien présent dans notre société, mais dans les deux sens. À l'origine la bêtise de l'homme face à la différence..le racisme est multiple et on pourrait en débattre longuement.
    Merci pour ce partage Fran et encore bravo à Jean Louis

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    Réponses
    1. On s'y croirait ! Vers courts qui percutent. Le rythme est là par les mots et le morceau choisi véhicule tant d'émotions !

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